Le Bulletin n°10 (Janvier 2011) :
Extrait du canard n°92 de la Cluny 40 (Marc Sandouly)
Ministère de l’Instruction Publique et de la Jeunesse. ÉCOLE NATIONALE D’ARTS ET MÉTIERS DE CLUNY
Note concernant la rentrée scolaire de 1940.
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La rentrée de 1940 n’est pas une rentrée ordinaire; elle doit se faire sous le signe du travail, de l’ordre, et de la discipline. Tout élève qui ne le comprendrait pas ne serait pas digne d’être admis dans nos Écoles; il n’y resterait d’ailleurs pas longtemps. Qu’il me soit permis à ce sujet de rappeler quelques-unes des prescriptions figurant dans le règlement intérieur, prescriptions qui doivent être rigoureusement observées. Le port des galons sur l’uniforme est interdit; seul un galon ordinaire à la casquette peut être toléré et cela quelle que soit la promotion. Les élèves d’une promotion ne peuvent entrer dans les études et dortoirs réservés aux autres promotions qu’avec une autorisation du Directeur ou du Sous Directeur. Le port de la blouse est obligatoire à l’intérieur de l’École; celui des sabots est toléré, et même recommandé en hiver ; le port des chaussures autres que les souliers et les sabots est interdit; le béret basque, seul autorisé comme coiffure à l’intérieur, est obligatoire aux ateliers. Les sorties du samedi constituent une faveur qui peut être accordée tous les samedis à la 3e année, 2 fois par mois à la 2e année, une fois par mois à la première année; elles sont limitées à 22 heures. Tout acte, toute manifestation, de quelque nature qu’ils soient, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui aurait pour résultat de troubler l’ordre ou de nuire à la discipline et au travail feraient l’objet de sanctions allant jusqu’à l’exclusion; l’une de ces sanctions peut comporter la suppression de tout ou partie de la bourse. Les brimades, s’il en subsistait, seraient sévèrement réprimées. A l’intérieur comme à l’extérieur, la tenue doit être irréprochable; tous les Maîtres de l’Ecole auront mission d’y veiller. Toutes les familles connaissent les difficultés actuelles du ravitaillement et les élèves eux-mêmes ont déjà eu à en souffrir. Ces difficultés ne sont évidemment pas épargnées aux internats qui, tout en faisant de leur mieux, risquent de manquer de denrées à certains moments. Il faudra que tout le monde y mette de la bonne volonté; nous suivrons dans la mesure du possible les principes qui nous ont toujours guidés mais il reste bien entendu qu’en aucun cas les mesures imposées par les circonstances ne doivent être une cause de désordre au réfectoire, ou ailleurs. Comme par le passé les élèves sont invités à mettre le Directeur ou le Sous Directeur au courant de tous leurs ennuis; rien de ce qui les intéresse ne peut leur être étranger et parmi beaucoup d’autres soucis, celui de remplacer la famille n’est pas le moins important. Jusqu’à ce jour, les élèves bénéficiaient de permis de circulation à demi-tarif; cette mesure, qui a été rapportée par suite des événements, occasionnera un surcroît de dépenses dans le budget des familles. Il faudra que les élèves en tiennent compte en réduisant d’autant les frais nécessités par les sorties du dimanche. Les élèves qui auraient l’intention de demander un supplément de subvention à l’État pour l’année scolaire 1940-1941 voudront bien remettre dès la rentrée au Secrétariat de l’École une demande de subvention sur papier timbré (papier libre pour les pupilles), sur laquelle seront mentionnées et la situation de famille et les raisons qui militent en faveur de cette subvention. Cette demande doit être libellée comme si elle était adressée directement à Monsieur le Secrétaire d’État à l’Instruction Publique et à la Jeunesse.
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Les élèves oublient trop souvent les précautions élémentaires qu’il convient de prendre au cours de la mauvaise saison et je suis persuadé que des maladies pourraient être évitées si les élèves se préservaient du froid et des changements de température en faisant usage de vêtements chauds, chandails, cache-nez, etc … et s’ils se présentaient à l’infirmerie dès les premières atteintes du mal.
Le Directeur de l’École : G.LAGARDELLE
Commentaires de Jean Fourré Cl.153 :
Une photo de la promotion 1939 prise en avril 1940 montre que tous les élèves portaient un uniforme comportant un galon au bas des manches (comme pour nous), l’interdiction de ces galons s’explique par l’invasion de la France par les Allemands (même si Cluny était alors en zone libre) et le risque de confusion avec les tenues des officiers des armées de l’Air ou de Mer. En fait, la consigne n’a pas été respectée par tous ; l’ouvrage sur les clés montre que K’nass et Pomp’s de la promotion Cluny 40 n’ont pas de galons, alors que dans la promotion Cluny 39 le K’nass (Louis Rouveyrol) en est également dépourvu, mais que le Pomp’s (Jean Dartigalongue) a gardé ses galons. Bien évidemment, le retrait de ces galons (même si l’uniforme était dans une valise) s’imposait d’abord pour ceux qui, habitant la zone occupée, avaient à franchir la ligne de démarcation, dont notamment les Creusotins.
En revanche, il y a de quoi rester pantois sur les différents régimes de sortie le samedi. Faudrait-il en déduire que c’était en conscrit qu’on avait le plus de travail et en véneb’s qu’on en avait le moins? Ou bien était-ce la pierre que la Strass apportait à l’usinage?
En fait, Marc Sandouly (délégué Cl. 40) m’a dit que la réalité n’était pas si tranchée.
Pour nous, la blouse était une tradition (qu’en tant que telle, certains profs voulaient interdire récemment, mais il faut admettre que les nôtres étaient sans fioritures et non personnalisées, ce qui n’est plus le cas) et non une obligation directoriale. Et nous n’étions pas coiffés du béret basque.
Quant aux sabots, nul d’entre nous n’en a jamais porté ailleurs qu’aux ateliers, et encore pas partout. Aujourd’hui, les dictionnaires définissent soulier par chaussure; il m’a fallu consulter un Larousse encyclopédique de 1964 pour trouver la définition “soulier : chaussure qui couvre le pied ou une partie du pied, mais pas le bas de la jambe”. Je portais des galoches, donc des chaussures dans certains ateliers.
J’en profite pour mentionner qu’en 1940 (et selon un camarade de la Cluny 49 il en fut de même pour lui), il y avait des ratons pour les 3 promotions (ils suivaient la promotion d’année en année), alors que nous n’en avons véritablement eu qu’en conscrit et que le dortoir véneb’s ne comportait même plus de chambre pour raton. Encore nos ratons, que ce soit le Kem’s ou Bambois, étaient-ils d’âge mûr, bien tranquilles, et sourds la nuit! Il y eut auparavant parfois d’anciens sous-officiers qui étaient beaucoup moins pacifiques.