Bulletin n°10 – Le Drapzarts et le drapeau de la B.N. au sommet du Zapointe (1918)

Le Bulletin n°10 (Janvier 2011) :

Souvenirs d’école – Cluny 1918
Par P. Bocquet (Cl. – Ai. 16) – Ecrit en mai 1977

Avant-propos:

Succédant au déjeuner “officiel” de décembre à Paris, celui de février a réuni à Nice un grand nombre de camarades venus sur la Côte d’Azur pour y retrouver le soleil, et l’amitié. Que faire entre gadzarts, sinon se raconter des histoires de gadzarts?

C’est ainsi que Joly évoquant le souvenir des drapeaux hissés et fixés à la Croix du Clocher de l’Eau Bénite, à Cluny, en mars 1918, a transmis le désir de promotions plus jeunes de connaître l’historique et le “modus operandi” dudit exploit. Tu admettras avec nous qu’il est assez piquant de voir un ancien professeur de la même Ecole, ayant atteint, depuis, les sommets de la hiérarchie participer – indirectement – au rappel d’un tel acte d’indiscipline! Son auteur a bien voulu, 60 ans après, en faire le récit, récit qui satisfera la curiosité des jeunes couches de gadzarts, mais également sans doute, celle des plus respectables par le nombre des années. Nous nous permettrons d’ajouter qu’il n’est pas moins « gratiné » de savoir que l’acrobate en question a terminé sa carrière, lui aussi dans l’enseignement, entre les bras… d’un confortable fauteuil directorial, ce qui prouve qu’un audacieux garçon peut s’assagir avec l’âge: nous lui laissons la parole, ou plutôt la plume.
A toi, Bill ! (Bocquet)
Z. C.

Nota : pour comprendre certaines remarques, il faut se rappeler qu’il n’y a pas eu de Promotion 1915 dans aucun Centre.

Historique

Notre année de “conscrits” sans “Vénérables” pour nous inculquer les “Trad’s” laissait sans horizon les quelques heures de sortie dominicale (sauf “colle”). Le seul port de casquettes à “viscopes” hors normes était une bien piètre manifestation de notre personnalité! Sans doute, étions-nous là pour travailler… dans la monotonie des horaires et des programmes, sans savoir comment se termineraient nos études : la guerre continuait ! Mais, un besoin de faire “quelque chose” s’imposait à nous ; on en discutait le dimanche dans les bistros… en tapant la belote. L’idée “géniale” – et saugrenue – apparemment impossible, d’accrocher des “drap’s” au “za-pointe” du clocher de l’Eau Bénite (Dieu serait avec nous!) l’emporta, puis finit par se réaliser. Notre but n’était, ni contestataire, ni démolisseur, ni amoral – pas de drogués parmi nous – peut-être constituait-il un léger manquement à la discipline, mais si nous avions exposé notre projet à la “Strasse” elle n’aurait pas accédé à notre désir.

Préparation

II nous fallut alors réunir, d’abord, un groupe homogène et discret de 10 à 12 camarades pour reconstituer la traditionnelle B.N. (la Bande Noire) qui n’existait plus en raison de l’absence à l’École de promotion antérieure. Le plus difficile, ensuite, fut de trouver les voies d’accès, des dortoirs jusqu’à l’intérieur du clocher, puis à la dernière lucarne précédant la base de la croix, enfin, « d’usiner » les clefs des portes qu’il nous fallait franchir. Que de promenades nocturnes au travers des cloîtres et des combles, que de descentes et de remontées au cours du second trimestre à la recherche du meilleur passage. Progression lente, sans anicroche mais non sans alertes (en raison des rondes des gardiens de nuit), un travail nécessaire dont dépendait notre réussite… et notre sécurité. Il fallut, dans le même temps confectionner hors du “Tabagn’s” les deux “drap’s”, l’un tricolore – nous étions patriotes – l’autre B.N., noir avec tête de mort blanche sur tibias entre-croisés: notre signature. Une enfant du pays qui avait des bontés pour l’un d’entre nous, se chargea des travaux d’aiguille. C’étaient des engins encombrants, avec des hampes de plus de 3 m assorties de crochets et de cordelettes pour en faciliter la pose. Enfin, tout fut prêt pour la “Grande Descente”… ou mieux la grande montée. Le guet dans les dortoirs et le long du trajet était assuré par des sentinelles “statiques” afin qu’en cas d’alerte elles la transmettent jusqu’au paisible dortoir. Si “coup dur” il y avait, tous les camarades devaient descendre dans les cours et les cloîtres pour permettre le retour anonyme des groupes en déplacement: il n’en fut heureusement pas besoin.

Exécution

Assis, puis debout sur le rebord de la lucarne, encordé et retenu par deux gars costauds, la corde accrochée à une pièce de la charpente j’avais la quasi certitude d’être remonté en cas de glissade. Il me suffit alors d’empoigner prudemment le câble du paratonnerre… en m’assurant de sa solidité et de me hisser par les poignets jusqu’au montant de la croix, à me serrer contre lui à l’aide d’une solide ceinture, les pieds croisés s’appuyant sur la base. Ouf ! …
J’avais ainsi les deux mains relativement libres. Après quelques profondes inspirations pour reprendre mon souffle, un coup d’œil vers le bas, où tout était calme (un train passa en sifflant) je tirai vers moi d’abord le “drap’s” B.N. qui fut fixé assez facilement, puis le tricolore qui me donna plus de mal, en raison du peu de place dont je disposais; il prit d’ailleurs par la suite une position quelque peu inclinée… Puis, après un ultime regard sur le tour d’horizon, la ceinture décrochée, c’est presque à regret que j’ai quitté la situation élevée mais quelque peu inconfortable qu’il m’était donné d’occuper.
Descente prudente le long du câble; à peine un pied sur la lucarne, je fus agrippé, aspiré à l’intérieur par les poignes solides des camarades qui trouvaient le temps long. Soupirs de soulagement, embrassades… et rentrée silencieuse au dortoir quitté une demi-heure ou trois quarts d’heure avant, pour terminer la nuit dans le sommeil du juste, alors que, flanqué du chroniqueur de service, l’écrivain public attendait devant le tableau noir des salles d’études, craie en main et non sans inquiétude le signal “mission terminée” pour inscrire le communiqué historique suivant, qui parut également dans le dernier numéro de L’Écho du Tabagn’s, le journal de bord de la promo, rédigé par les camarades de la classe 20, après notre mobilisation en avril 18: “On a prétendu que les gadzarts étaient des défaitistes. Le drapeau tricolore qui flotte sur leur Ecole est la preuve du contraire, en montrant que le courage ne manque pas aux soldats de demain. Le drapeau qui l’accompagne fait connaître qu’ils sont B.N.”

Conclusion

A cette proclamation, le Directeur de l’École devait apporter la réplique suivante, qui n’était d’ailleurs pas injustifiée du point de vue de la langue : « On dit, un groupe d’individus, une association de citoyens, une société de braves gens, et on dit une bande de voyous, de malfaiteurs (le “gangster ” n’était pas encore né) une bande noire… » Puis une enquête fut ouverte… qui n’aboutit pas. Les draps’s demeurèrent en place quelques jours, jusqu’à ce que de courageux couvreurs, issus d’un solide échafaudage, les atteignent et les descendent au prix de deux journées de travail.
Ceux-ci furent entreposés par l’Administration à la lingerie, et récupérés par nous; nous en fîmes don aux promotions suivantes après en avoir prélevé quelques échantillons-souvenirs.
Quelques jours plus tard, la classe 19 était appelée sous les drapeaux, la promo disloquée pour la seconde fois (la 1ère coïncidant avec le départ de la classe 18, en 1917); elle allait être regroupée au hasard des Écoles pour la 3ème année d’études et venir ensuite ajouter un anneau à la chaîne des Anciens.

48 ans après

Depuis, au cours de nos réunions, il nous arriva de rappeler le “fait divers” de 1918. Ce fut le cas, en particulier, du Cinquantenaire d’Entrée, en 1966 à Cluny. Nous eûmes l’honneur d’avoir pour invité à notre déjeuner Mr Kenneth John Conant, savant archéologue américain, chargé de recherches par la Mediaeval Academy of America (M.A.A.) sur le terrain des fouilles de Cluny. Il devait y travailler de 1928 à 1950.
Sa curiosité, éveillée au vu d’une photographie de “son” Clocher et… son fleuron de drapeaux me valut de lui conter ce que tu viens de lire.
Il devait être élevé à la dignité de “Gadzarts d’Honneur de la promotion” et décoré par Debos de sa rosette de la Légion d’Honneur, geste qui précédait de peu là remise “officielle” de cette distinction, par l’Ambassade de France aux U.S.A.

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