Le Bulletin n°05 (Janvier 2005) :
On sait peu de choses sur le collège que les bénédictins avaient mis en place dans l’abbaye; voilà ce que nous rapporte le maire Dumont en 1800 : « Ce collège doit figurer sur la liste comme étant le plus florissant. (…) Il y avait ordinairement une cinquantaine d’élèves. Quatre bénédictins étaient spécialement affectés à l’enseignement des langues française et latine, de l’histoire, de la morale et de la politique. Les études y étaient gratuites et elles duraient huit ans. »
L’abbaye détruite, les moines chassés, il faut attendre une dizaine d’années avant que l’enseignement secondaire puisse être réorganisé par la municipalité dans les locaux de l’abbaye. Les professeurs, dont des anciens bénédictins, enseignent les langues française et latine, la géographie, l’histoire et les mathématiques…On voit même s’installer en l’an XII de la République une école de… natation, comme l’exigent alors les instructions du ministre Chaptal. L’uniforme est de mise: « Habit ou une redingote en drap vert, chapeau rond jusqu’à quatorze ans, chapeau français après cet âge, boutons blancs, en entier de métal, portant les mots école secondaire au milieu, et autour, en légende, le nom du lieu où sera l’école. »
Le collège fonctionne bien jusque dans les années 1830 puis les effectifs baissent : la situation politique parfois instable n’encourage pas les familles à inscrire leur enfant dans des études aussi longues, l’enseignement coûte cher (le prix de la pension oscille entre 450 et 500 francs) et la concurrence de l’enseignement privé est rude… En 1866, les élèves ne seront plus que 55 à fréquenter l’établissement.
Nommé ministre de l’Instruction publique par Napoléon III en 1863, Victor Duruy cherche des locaux pour installer son École normale de l’enseignement spécial et son collège-annexe. Aucaigne Sainte-Croix, maire de Cluny, conscient des avantages que la ville va gagner et des inconvénients qu’elle n’aura plus à gérer, accepte de céder gratuitement les locaux au ministre, rajoutant même une subvention de 70 000 francs. Schneider, Président du Conseil Général, vote une subvention de 100 000 francs. L’enseignement secondaire spécial sera une réussite à Cluny; il est en effet l’enseignement qui manque tant en France pour les enfants du peuple, un enseignement intermédiaire entre l’enseignement primaire (le « lire, écrire, compter ») et l’enseignement classique (les fameuses « Humanités ») réservé à la seule bourgeoisie.
La France compte à cette époque 25 millions d’agriculteurs et 10 millions de « citoyens livrés à l’industrie et au commerce »; il s’agit donc, selon Duruy, de former les futurs cadres dans ce pays en plein développement économique.
En ce milieu du XIXe siècle, peu d’écoles professionnelles ou pratiques existent. On trouve un petit nombre d’écoles d’apprentissage très spécialisées ou encore des écoles primaires annexées pour les enfants d’ouvriers, comme celle de nos voisins du Creusot. Pour le degré « moyen », les trois Écoles d’Arts et Métiers (Chalons, Angers, Aix) existent déjà ainsi que l’École des Mines de Saint-Étienne et La Martinière à Lyon. Pour le degré supérieur, nous trouvons l’École Centrale et l’École des Ponts et Chaussées.
C’est avant tout un enseignement scientifique que veut Duruy, un enseignement scientifique surtout pratique: des mathématiques appliquées, de la mécanique, de la physique chimie et des sciences naturelles et leurs applications à l’agriculture et à l’industrie, le dessin, cette « écriture de l’industrie. »
Avec l’enseignement spécial, ce sont également de nouvelles matières obligatoires qui font leur entrée officielle dans les classes: la musique, le dessin d’ornement, la gymnastique et les cours d’atelier (ajustage, forge, menuiserie).
Duruy va réussir là où d’autres ont échoué car il pense également à créer le corps professoral qui va dispenser le nouvel enseignement et c’est à Cluny que les futurs professeurs vont être formés : l’École et son collège-annexe ouvrent leurs portes le 1er novembre 1866. La grande idée de Duruy est que les futurs professeurs puissent en effet apprendre leur métier devant de vrais élèves, dans de vraies classes et cela va fonctionner. En 1872, on compte une centaine d’élèves à l’école et presque 500 élèves au collège. Cela réussit mais Duruy était trop en avance sur son temps…. Il quitte le ministère de l’Instruction publique en 1869 et de réformes en réformes, l’enseignement secondaire spécial perd son caractère initial. En cette fin de siècle, il est encore tenu pour plus honorable de poursuivre un enseignement classique qu’un enseignement scientifique…
L’École de Duruy a fourni des professeurs et non pas des moindres ; le collège, lui, a vu passer des élèves qui deviennent illustres, comme Victor Grignard, Prix Nobel de chimie en 1912.
La commission du budget vote pourtant en 1890 la fermeture de l’École de Cluny sous prétexte d’économies à réaliser. Fausse excuse, dirons-nous…
On réfléchit à Paris à la nouvelle occupation des locaux car Cluny demande une « compensation » ; il est fait allusion à l’installation d’un prytanée comme celui de La Flèche mais c’est finalement le ministère du Commerce qui remporte le marché pour l’ouverture d’une École d’ouvriers et de contremaîtres à l’automne 1891.
C’est bien une École d’Arts et Métiers même si elle n’en portera le nom que dix ans plus tard ; grâce à l’installation de cette nouvelle école, Cluny « revit ». L’École de Duruy avait eu une influence énorme sur la ville: les chiffres de la population avaient augmenté et l’École avait apporté du travail dans cette petite ville qui n’a pas d’industries, hormis une papeterie, une tuilerie et des poteries.
Lorsque l’établissement de Duruy ferme ses portes en 1891, les chiffres de la population sont moins élevés que ceux de 1866; il faudra alors attendre que l’École d’ouvriers et de contremaîtres prenne de l’essor pour voir les chiffres de la population augmenter de nouveau. Les études se font en trois ans et chaque promotion compte environ 100 internes et 20 externes. En 1896, 299 élèves suivent leurs études à Cluny.
1901… les Arts et Métiers ouvrent leurs portes et les élèves ont sûrement assisté à la mise en place d’une plaque à l’entrée des Arts en hommage au ministre (1904) et à l’inauguration de sa statue en 1906.
A cette occasion un ancien élève de Duruy lut le discours suivant:
« Tu voulus qu’en ces murs l’on fit la science
Un spécial usage et qu’au cœur d’infini
Sans cesse tourmenté l’on donnât l’espérance
Des moines de Cluny »
Duruy ne fut pas démenti le siècle passant: c’est toujours en ces murs que l’on fait la science…
